BERGOUNIOUX ME FAIT CRAQUER


J'ai eu du mal avec Bergounioux. Deux de ses livres anciens m'ont emmigrainé, ne me laissant qu'un souvenir confus ; son recueil d'articles, La cécité d'Homère, m'a paru intelligent, froid, pontifiant sur les bords, travail de prof. Je m'obstine en achetant deux de ses petits derniers, Un peu de bleu dans le paysage, puis Simples, magistraux et autres antidotes, et là je craque.

Il parle de sa jeunesse, de son terroir, encore et toujours. Corrèze, dur pays. L'écriture est à son image : rugueuse, minérale, charriant avec une espèce de rage sourde des phrases martelées, frottées, aux termes techniques d'une précision coupante, phrases oscillant de la souplesse à la raideur, et d'une musicalité, d'une couleur assorties — rudes, elles aussi. Je pourrais remplir des pages du Verbier avec ma collecte bergouniouse d'effets sonores, voyelles, consonnes et rythmes... Aimer ce qu'on n'aimait pas : un sacré bonheur. Celui de l'enfant qui soudain mange avec plaisir un aliment détesté, qui comprend enfin quelque chose de trop compliqué jusqu'alors. Bébé grandit.

Parfois c'est l'inverse : l'auteur chéri qu'on a repris en se léchant les babines paraît soudain sans saveur, ou alors trop sucré, ou trop salé. Nous voilà déçus sans doute, mais là aussi la même satisfaction (ou consolation) finale nous attend : si les faiblesses d'un texte un beau jour nous sautent aux yeux, c'est sans doute qu'on a fait encore un petit pas de plus.


(Journal infime, 2001)



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°15 en novembre 2004)