ANDOUILLE FRONTALIÈRE


Tiens, une andouille ! Ça faisait longtemps. Il est vrai que de crétins en crapules, on risquait de finir par tourner en rond.

Notre nouvelle andouille est d'un genre différent.

Elle s'appelle Cédric Herrou. Son nom ne dira rien à la plupart des andouilles qui fréquentent en priorité cette méchante rubrique. Il est agriculteur dans les Alpes-Maritimes, près de la frontière italienne. Il a vu arriver des migrants affamés, épuisés, pourchassés. Il les a hébergés, nourris, aidés du mieux qu'il a pu, sachant parfaitement quelle récompense l'attendait : une condamnation en justice. Herrou est un héros.

Alors pourquoi diable l'andouiller ?

Je vais t'expliquer, Cédric. Permets que je te tutoie. Le tutoiement, parfois, est une marque de respect. Je ne tutoie pas n'importe qui. Je t'admire. Si je me sens si proche de toi, c'est que tu oses faire ce que je devrais faire moi-même sans en avoir le courage et la force. Non, ne proteste pas, je sais, tu n'es pas seul, ils sont plusieurs à s'engager comme toi et à le payer cher. Je te prends pour symbole, c'est commode, mais à travers toi, sache-le, je parle aussi aux autres.

Te voilà donc sous le coup de la Loi, comme on dit si bien. La Loi, cette dame étrange qui tantôt protège l'innocent, tantôt, mise entre des mains indignes, lui cogne dessus. Tu seras réhabilité plus tard, pour peu que nous soyons gouvernés un jour par des gens bien — tâchons d'y croire. Une rue de ton village portera ton nom, alors que certains juges qui te persécutent seront oubliés — c'est ce qu'on peut leur souhaiter de mieux. Seulement voilà : pour l'instant, tu es ringard, mon vieux. Vous n'êtes pas raccord avec l'époque, toi et les autres justes. Vous appliquez ce que vous ont appris vos parents et vos ancêtres : le partage, la solidarité, ces vieilles lunes, alors que c'est fini tout ça. Tu n'as donc pas compris que derrière les beaux discours hypocrites, ceux qui ont managé le pays ces derniers temps — le petit nerveux, le gros mou, le jeune loup — nous assénaient tous, main dans la main, le même message ? L'égalité, la fraternité, ça commence à bien faire. On ne fait pas de bon business avec des bons sentiments. La pire injure qui soit, ces derniers temps, c'est se faire traiter de type gentil, honnête, idéaliste — de bisounours.

Tes immigrés ? D'accord, ils sont une chance pour le pays, un apport de sang frais, tu le sais et je le sais aussi, et nos politiques aussi bien que nous ; mais une majorité de nos compatriotes ne le savent pas ou plutôt ne veulent pas le savoir, et les dégonflés qui nous dirigent n'oseront jamais leur dire la vérité : trop dangereux le jour des élections. Sans leur soutien, ton combat est perdu d'avance. Alors fais comme eux, fais comme tout le monde : écrase-toi. Vieillis pénard devant ta télé. Tes loqueteux, tes meurs-de-faim, laisse-les tomber. S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche.



L'extrême droite n'a pas le monopole du jeu de mots !
Cédric Herrou.

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