ANDOUILLE RATÉE


Il suffit de le voir apparaître, sur DailyTube, dans l'émission d'un type en noir dont j'ai oublié le nom — combinaison dorée, perruque de folle blonde, discours aussi bébêtement destroy que son look — pour se dire qu'on a devant soi une reine des andouilles. Il faut dire qu'on le connaît déjà, William Baranès, alias Guillaume Dustan. Il a fait parler de lui dans les années 90 avec des livres racontant sa vie d'homosexuel parisien branché, puis avec un éloge de la baise décapotable qui a rendu de nombreux gays chagrins.

Qu'est-ce qu'il devient, Dustan ? Je viens de tomber sur lui dans un livre de Thomas Clerc, qui en fait le héros d'une nouvelle : présenté comme «l'un des meilleurs écrivains de sa génération», «l'un des penseurs les plus vifs de la contre-culture», théoricien d'un mode de vie libéré, fondé sur la satisfaction des plaisirs, Dustan discute avec un vieux néolibéral odieux qu'il dézingue en un feu roulant de formules étincelantes. Chose étrange, malgré l'admiration apparemment éperdue de son hagiographe — garçon sérieux et plutôt fiable par ailleurs —, on voit peu à peu se dessiner un Dustan verbeux, vaniteux, arrogant, puant.

Une vidéo, un portrait de seconde main, cela suffit-il pour décerner notre trophée mensuel ? Non, bien sûr : nous honorons seulement les andouilles écrivantes. Plongeons-nous donc illico dans les textes, quoi qu'il en coûte.

Le volkonaute écarquille les yeux. Il s'impose de lire Dustan ? Rien que pour nous ? Sans blague ?

Qu'on ne m'admire pas trop. J'agis surtout par curiosité. On m'a dit tant de mal des écrits du monsieur... Son succès n'a été qu'un feu de paille, ses derniers livres ont fait un flop, on ne le lit plus guère, mais je réussis tout de même à dénicher — le dernier exemplaire, en occase — de son best-seller : Nicolas Pages, qui commence en autofiction («En littérature, soit c'est soi, soit c'est du bidon»), pour finir en essai.

Son chef-d'œuvre, paraît-il. Killer, dit-on en dustanien. Bestial.

«Ce brûlot vibre littéralement comme les beats de la musique techno qui rythme ses pages, comme une montée sous héro», râle de plaisir un internaute enamouré.

Sans déc' ?

J'avoue que pour ma part, je ne kiffe pas un max. Aurais-je dû insister au-delà de quelques pages, cette prose agissant peut-être sur la durée, comme les musiques répétitives ? Côté longueurs et ressassements, c'est imbattable. L'auteur déballe son quotidien sur 500 pages, dans le moindre détail, avec fixette sur les diverses fonctions corporelles. C'est décoincé grave comme il dirait lui-même, et plus précisément diarrhéique, écrit tel que ça sort quand on tchate entre mecs, sans se casser pour se relire, zéro prise de tête. «L'art, nous prévient Dustan, je n'en ai jamais rien eu à foutre». Des phrases tantôt courtes point point point point à côté de quoi Angot a des allures proustiennes, tantôt longues, virgule, virgule, virgule, comme dans les petits romans branchouilles et c'est beau comme du Ravalec.

S'ajoutent à cela une tapée de fautes d'orthographe. Oubliées des correcteurs, l'auteur ayant filé de son ecstasy aux ballots de chez Balland ? Ou délibérées, l'orthographe n'étant qu'un trip de bourges ?

Dustan appartient, nous annonce-t-il lui-même, à la famille des Sade, Artaud, Bataille, Genet, Guibert ; parmi les contemporains, il se sent proche de ces deux géants : Michel Houellebecq et Virginie Despentes. Ceux qu'il déteste : Borges, Claude Simon, Perec, ces petits branleurs. Motif de la condamnation ? «Litanie, liturgie, léthargie...», répond-il, sibyllin. «Il ne faut pas être trop pressé de lire les autres», déclare-t-il ailleurs, ce qui peut-être explique tout.

Trop cool ! Hyper méritée, l'Andouille d'honneur ! Ajoutons-y une mention spéciale pour deux exploits joliment paradoxaux.

D'abord, avec ses scènes de baise, d'une précision besogneuse qui ne peut provoquer que la débandade, le chantre du plaisir parvient presque à nous faire haïr le sexe.

Plus fort encore : l'homo militant fait tout pour nous dégoûter de la confrérie, avec son exhibitionnisme à la mords-moi-le-nœud et ce pharisaïsme agressif de certains gays (quelle andouille leur a collé ce blase ringard, grands dieux ?), lesquels toisent de haut le commun des mortels — on baise plus que vous, on déconne plus, on est plus gais... Que les homosexuel(le)s soient dans l'ensemble des êtres un peu supérieurs, c'est probable, mais eux-mêmes se doivent de ne pas le penser — faute de quoi ils cessent du même coup de l'être.

Ah la belle andouille... Alors pourquoi ce vague malaise ? Il est too much, Dustan, trop facile à se farcir, et à mesure qu'on le lit, qu'on regarde surtout la fameuse émission où il se fait ardissonner les cloches — sa provoc trash tombe à plat, tout le monde sur le plateau se fout de sa gueule, il sue le malaise, il est pathétique, il tripote une tête de mort et l'on se souvient alors de sa trajectoire dérisoire, l'ambition paranoïaque, l'œuvre si mince à côté, la fin lamentable (exilé en province ! l'horreur !), la mort à quarante ans d'une overdose de médocs, bref, le ratage total —, on est pris d'une insidieuse pitié pour ce triste gay, d'une curieuse tendresse pour cet homme fragile, pas méchant semble-t-il, plus sympa en tous cas que l'affreux cureton à côté de lui à la télé, qui l'agresse cruellement, et voilà que l'andouille nous file entre les doigts, que l'épée de l'estocade nous glisse des mains, on a beau faire on se sent gentil, incurablement gentil, et vous savez quoi ? ça fait un peu flipper.


Décoincé grave.
Guillaume Dustan.
Bestial.
William Baranès.

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